Terre, une invitation au voyage

Pour que vive la montagne de demain

Éliane Patriarca
Pour que vive la montagne de demain

Lancés en mars 2020 à Métabief, dans le massif du Jura, les États Généraux de la transition du tourisme en montagne se sont déroulés en septembre 2021 dans 30 vallées et massifs en simultané.

Conférences, tables rondes, séances plénières et ateliers territoriaux : un temps de réflexion et de concertation, grandeur nature et inédit, pour réfléchir collectivement, face à la crise climatique, à ce que pourra être la montagne de demain. Exemple avec l'atelier de Champsaur Valgaudemar.

L'idée avait émergé en 2019 au sein de Mountain Wilderness, l'association nationale de protection de la montagne. La crise sanitaire et les confinements provoqués par l'épidémie de covid-19 ont retardé sa mise en œuvre mais ont aussi confirmé la pertinence du projet de l'ONG : réunir à une même table tous les « acteurs » des territoires montagneux, dont ceux que tout semble opposer – gestionnaires de stations de ski et de remontées mécaniques, associations environnementales, socio-professionnels, élus, chercheurs, institutions, collectivités locales... –, afin de penser collectivement un devenir « soutenable » pour les montagnes et leurs habitants. La saison blanche de l'hiver 2020-2021, avec des remontées mécaniques à l'arrêt, a mis en lumière le caractère urgent d'un changement de modèle économique, hors du tout-ski et plus globalement d'un nouveau paradigme pour faire face au changement climatique et à la raréfaction de l'enneigement.

Organisés par Mountain Wilderness et l'association 2TM, les États Généraux de la transition du tourisme en montagne se sont déroulés les 23 et 24 septembre 2021, à Thiez (Haute-Savoie) pour les réunions en plénière, et en ligne pour la majorité des conférences et ateliers thématiques. Dans les vallées de chaque massif se sont déroulés des ateliers territoriaux conçus pour que des démarches émergent au sein même des zones de montagne. Des ateliers d'intelligence collective ont été proposés afin que les acteurs de ces territoires impulsent collectivement une dynamique concrète de transition, ajustée aux caractéristiques régionales.

Vincent Neyrinck de Mountain Wilderness, qui était chargé de dresser le bilan de ces 29 ateliers territoriaux, a relevé une constante dans les comptes-rendus : « Quel que soit le type d'organisateur, quelle que soit la durée des échanges, les mêmes mots sont revenus : "C'était bien, on a pu se parler !" », souligne-t-il.

Ski de randonnée dans les Alpes, en France - ©rcaucino

Preuve du caractère inédit de la manifestation dans un univers où l'on s'est longtemps regardé en chiens de faïence. Exemple avec l'atelier territorial de Champsaur Valgaudemar dans les Hautes-Alpes et le témoignage d'Aurélie Dessein, adhérente de longue date à Mountain Wilderness, conseillère municipale pour la commune de Saint-Bonnet-en-Champsaur et élue au conseil communautaire de la communauté de communes de Champsaur Valgaudemar. « Ingénieure écologue de formation, j'ai dirigé la Frapna Isère et j'habite depuis sept ans le village de Saint-Bonnet-en-Champsaur, à 1000 mètres d'altitude, aux portes du parc national des Écrins. La plus proche station de ski, qui est aussi la plus haute par ici, c'est Orcières Merlette (s'élevant de 1850 à 3000 mètres). Au total, pour les deux vallées du Champsaur et du Valgaudemar, il y a six stations de ski et quatre sites nordiques. Chez nous, l'atelier territorial s'est déroulé, en décalé, le 26 novembre 2021, un mois après les États Généraux. J'avais pourtant proposé dès la fin 2019 aux équipes municipal et communautaire de participer aux États Généraux.

Mais à l'époque, le sujet de l'adaptation au changement climatique n'était pas une préoccupation localement. Dans les deux vallées, situées à 100 kilomètres au sud de Grenoble et à 200 kilomètres au nord de Marseille, l'ensoleillement est important et le "produit" neige bien présent : sa raréfaction n'apparaissait pas prégnante. Ensuite, il y a eu la crise sanitaire et les confinements qui ont encore retardé l'implication du territoire. Mais en août 2021, la loi Climat et Résilience puis le rapport du Giec ont brutalement accéléré la prise de conscience des élus et les ont incités à s'approprier ce sujet. Le président de l'Office de tourisme du Champsaur Valgaudemar a pris en main l'organisation de l'atelier territorial qui s'est déroulé sur une demi-journée. Il a démarré avec 90 minutes d'interventions de divers spécialistes du climat et du tourisme de neige sur le contexte régional, l'évolution locale du climat, les caractéristiques du tourisme dans les deux vallées, etc. Ces 90 minutes d'exposés, de haut niveau, très denses en informations, ont posé les bases d'une culture commune. Un socle indispensable pour pouvoir ensuite discuter, échanger : je pense qu'il y a vraiment un temps d'acculturation nécessaire pour pouvoir aborder certains sujets avec sérénité et efficacité, et sortir de la sidération que provoquent les projections sur l'évolution du climat en montagne et de l'enneigement. Puis les échanges se sont déroulés en ateliers, sur des thématiques proposées par l'Office de tourisme. 50 participants au total, dont une majorité d'élus mais aussi des acteurs de l'accueil touristique en zone de moyenne montagne, des directeurs de stations de ski, des associatifs.

Un regret : il manquait les socioprofessionnels qui n'étaient pas disponibles en ce début de saison. Il y a eu beaucoup de respect dans les prises de parole, c'est important pour apprendre à travailler collectivement ! Parmi les mots-clés qui ont émergé : le besoin de formation aux nouveaux métiers, ceux de demain ; le besoin d'ingénierie pour amorcer la transition localement, en fonction des caractéristiques des vallées ; l'avenir de l'agriculture, très structurante dans le territoire mais pas assez valorisée dans le cadre de la transition ; et la mobilité douce. Au contraire, il a été peu question du besoin de nouveaux aménagements ou de nouvelles constructions. Aucune volonté de cultiver un modèle dépassé ne s'est exprimée, c'est encourageant !

Le risque, bien sûr, c'est que ces échanges ne soient pas suivis d'effets, que chacun reprenne ses activités sans plus y penser ni agir. D'autant que le format adopté, très court, n'a pas permis d'entrer en profondeur dans l'élaboration de solutions. L'objectif est de vite organiser un nouvel atelier pour imaginer un projet de territoire, un projet intégrateur, depuis la vallée et jusqu'au sommet. Car, en montagne, l'un des écueils pour amorcer la transition est l'habitude de réfléchir par "étage" : or pour s'en sortir, il faut réfléchir de manière interconnectée, c'est-à-dire des fonds des vallées jusqu'aux stations de ski. Car il y a des habitants "du bas", des vallées, qui travaillent "en haut", en station, et des touristes skieurs ravis d'aller découvrir les villages de la vallée. Mais élaborer un tel projet de territoire, cela ne se fera pas en une séance ! » Selon Aurélie Dessein, la question de la gouvernance des stations de ski n'a pas été abordée. Pourtant, les remontées mécaniques procurent des gains financiers sans équivalent. Mais c'est une activité destinée à se réduire. Parmi les propositions qui ont émergé, on compte celle d'utiliser les recettes actuelles du ski pour amorcer la transition et la diversification du modèle économique. Il y a eu aussi beaucoup d'échanges au sujet du tourisme, sur la nécessité d'être à l'écoute des besoins des habitants, de réfléchir à une économie de montagne par et pour les habitants, à une économie durable. Bilan, « les États Généraux, c'est un essai à transformer ! Il faut passer à la deuxième étape pour sortir du fonctionnement cloisonné, s'inspirer des exemples d'autres territoires et amorcer la transition. »

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