Un sac, un dos... et le voyage commence

Dans cet article paru dans notre dernier numéro du magazine TERRE, le journaliste Christophe Migeon s'est demandé si le sac à dos n'était pas un peu plus qu’un simple accessoire. Petit portrait de ce compagnon indispensable.
C'était en 2014, au sommet du Yasur, sans doute le volcan le plus actif du Vanuatu. La nuit venait de tomber et j'avais installé le piedphoto tout au bord du cratère pour saisir le spectacle dantesque des gerbes rougeoyantes de lave en fusion qui tournoyaient dans les ténèbres. Mon sac à dos était posé à même le sol juste derrière moi. Après une demi-heure d'un inoubliable spectacle pyrotechnique, j'ai replié le pied pour aller un peu plus loin et me suis retourné pour découvrir à la lueur de la frontale un... tapis de cendres grises. Mon sac n'y était plus ! Envolé, ou plutôt volé par une canaille des plus habiles ou par un esprit contrarié par ma présence comme préféraient le penser les habitants du village d'à côté. Eh oui, sur un volcan en éruption, le péril n'est pas forcément celui attendu.
Le choc était rude. Car outre la perte de deux objectifs fort coûteux, il me fallait faire désormais le deuil de mon fidèle compagnon d'aventures, mon petit Milou à moi, mon cher sac à dos, celui qui pendant une bonne dizaine d'années avait toujours été présent pour moi, un dur à cuir qui tenait bon sous l'averse et ne se plaignait ni de la neige, ni du sable ; un bon bougre toujours prêt à accueillir un zoom supplémentaire ou une veste à ficeler sous ses sangles expertes. Je me souviens encore, l'œil humide, de ses larges bretelles ponctuées d'auréoles de sueur que, une fois de retour à la maison, le chat léchait avec tendresse. Certes, il lui arrivait de me casser les lombaires, mais c'était un bon camarade et je le regrette encore. Reste à savoir pourquoi je m'étais autant attaché à ce barda...
Petits formats
Voilà longtemps que les humains eurent l'idée d'un contenant à porter sur le dos pour garder les mains libres. Depuis les premières outres en cuir et les hottes en osier, le concept a fait son chemin. Les premiers sacs à dos dignes de ce nom ont labouré les épaules des fantassins des armées européennes du xixe siècle. Le havresac – de l'allemand Hawersack, « sac à avoine » – était un petit sac en peau sans cadre dans lequel les soldats fourraient vêtements, vivres et bricoles personnelles.
Après ces débuts martiaux, le développement au début du xxe siècle d'activités récréatives comme l'alpinisme, le camping, la randonnée ou le scoutisme, fait revenir le sac à dos à la vie civile.
La toile remplace le cuir et des cadres métalliques transfèrent une partie du poids sur les hanches. Les premières fermetures éclair font leur apparition un peu avant la Seconde Guerre mondiale. Et juste après ce conflit, l'Américain Dick Kelty a la bonne idée d'utiliser l'aluminium des carcasses d'avions militaires pour fabriquer des armatures plus légères. Il rembourre les bretelles et rajoute une lanière au niveau de la taille.
Dans les années 80, soit dix ans après l'invention américaine, le sac à dos petit format, sans armatures, fait son entrée dans les lycées et les facs françaises et relègue au placard la sacoche en cuir de papa. Il se couvre de slogans anti-militaristes, prône la paix et l'amour, voue le nucléaire aux gémonies et ne se porte bien sûr qu'à l'aide d'une seule bretelle. Depuis, son urbanisation s'est confirmée. Les cadres encravatés l'ont adapté à leur costume deux-pièces en élégantes versions cuir retourné tandis que les hipsters des mégapoles ne se séparent plus de leur modèle « oversized vintage ».
Dufflebag et baluchon
De leur côté, les sacs à dos de rando sont devenus des petits bijoux de haute technologie, combinant adaptation aux morphologies des deux sexes, dos à filet suspendu ou thermomoulé et autres bretelles à exosquelette. Ils se veulent même éthiques et durables. On n'ose même plus y coudre les écussons des pays visités ! Mais qu'importent les divagations techniques ou stylistiques, le sac à dos relève bien plus de l'imaginaire propre à l'itinérance et au voyage au long cours.
Il est à lui seul une promesse d'aventure, un passeport pour l'évasion, un plaidoyer contre l'enracinement et l'arthrose.
Il suffit de s'en coller un sur le râble pour prétendre au titre de backpacker de grand vent, de routard des étoiles, de bourlingueur sans attaches. Son heureux propriétaire devient soudain le digne héritier des trimardeurs qui arpentaient la terre d'un pas léger avec sur l'épaule un baluchon noué au bout d'un bâton. L'effet produit avec une valise à roulettes ou un dufflebag n'est pas tout à fait le même. Mais le sac à dos ne préserve pas pour autant du ridicule : se promener avec sa maison sur le dos fait parfois plus ressembler à une tortue qu'à un aventurier. Pour éviter les risées tout comme les lombalgies, un seul mot d'ordre : la légèreté.
Le poids de la peur
Toute l'histoire du sac de randonnée se résume en effet à un numéro d'équilibriste entre légèreté et résistance. L'arrivée sur le marché du matériel de montagne de nouveaux tissus synthétiques et de matériaux composites a abouti par exemple à des sacs « ultralights » de 18 litres pesant moins de 100 grammes et qui, une fois roulés, tiennent dans la main. Mais encore faut-il ne pas trop charger la mule. Les longs voyages nécessitent un grand sac, entre 50 et 60 litres, joli volume qu'il est tentant de remplir de babioles qui n'ont guère d'utilité si ce n'est de rassurer celui qui les promène sur son échine. Les vieux baroudeurs diront que « l'on porte sa peur ».
Et la prudence n'est jamais légère. La masse recommandée ne doit pas excéder 15 % de celle du porteur. Soit pas plus 12 kilos pour une personne de 80. On frémit pour les reins de nos glorieux poilus qui, en août 1914, encore rasés de frais, sont montés au front avec un paquetage pesant entre 25 et 30 kilos, auquel il fallait encore rajouter fusil et cartouchière.
