Terre, une invitation au voyage

130 km à ski avec Matthieu Tordeur : récit d'une incroyable expédition

Matthieu Tordeur
130 km à ski avec Matthieu Tordeur : récit d'une incroyable expédition

C'est aux côtés de Matthieu Tordeur que notre groupe de voyageurs prend la route depuis Longyearbyen. Un objectif : atteindre la ville russe abandonnée de Pyramiden. Vivez ce périple de plus de 130 km à ski dans les plus beaux environnements de l’archipel du Svalbard à travers le récit de Matthieu.

Jour 1 - Le grand départ

C'est parti ! Après 24 heures d'ultimes préparations avec le groupe, nous sommes en mouvement. Pour la majorité des participants, c'est la première fois qu'ils tirent une pulka. Celle-ci est chargée d'environ 50 kg avec tout ce dont nous allons avoir besoin pour les deux prochaines semaines : équipement de camping, nourriture, vêtements polaires...

La sortie de Longyearbyen est relativement plate. Nous avons parcouru cinq kilomètres dans l'après-midi pour nous familiariser avec le matériel, sous les yeux de nombreux rennes sauvages croisés sur la route. La météo est mitigée pour ce départ, mais elle devrait s'améliorer dans la semaine avec du soleil et des températures descendant jusqu'à -25°C !

Notre équipe est motivée, prête à découvrir la beauté du Spitzberg et à apprendre à vivre en milieu polaire.

Jour 2 - La prise de marque

Au réveil, nous partageons les souvenirs et les trouvailles de la nuit. Chaque participant est responsable d'un tour de garde d'une heure pour surveiller l'éventuelle visite d'un ours. Nous nous réveillons à tour de rôle. Certains n'ont rien vu, quand d'autres ont été observés par une paire d'yeux brillants qui perçaient l'obscurité. Certainement un renne curieux et inoffensif.

Chacun prend ses marques pour cette deuxième journée. Nous remontons toute la journée une vallée glaciaire en prenant progressivement de l'altitude. Le rythme est plus lent, chacun trouve sa vitesse et se cale dans les traces de l'autre pour faciliter la progression. Le vent souffle et refroidit les corps. À 16h nous posons le camp au pied d'un col qu'il nous faudra passer le lendemain. Quand nous plantons nos tentes, quatre attelages de chiens de traîneaux nous passent devant à vive allure. Ils gambadent dans la neige. Nous les regardons avec envie : avec nos skis et nos pulkas nous nous déplaçons au mieux à 2km/h !

©Matthieu Tordeur

Jour 3 - Ça grimpe !

Pour rejoindre Pyramiden, nous devons passer par plusieurs fjords. Malheureusement, le premier sur notre route n'est pas suffisamment solide pour que nous puissions passer dessus en sécurité. Les températures ont été anormalement élevées ces dernières semaines, et la banquise est instable. Nous devons alors emprunter un itinéraire qui passe par les terres. Ce qui veut dire passer par un col à 700 mètres d'altitude ! Avec nos pulkas chargées, l'ascension est très difficile. Un pas après l'autre, le col se rapproche, mais nous y passerons toute la journée.

Nous n'avons pas eu de chance sur le terrain aujourd'hui, mais la météo est avec nous. Peu de vent, un ciel bleu et un soleil magnifique. Au niveau des températures, il fait très froid.

Le thermomètre a chuté à -30°C. Tout devient difficile et pénible dans ces conditions. Il faut être organisé et ne pas faire de gestes inutiles pour conserver son énergie.

Dans la montée, notre effort génère beaucoup de chaleur et nous ne souffrons pas du froid. Il faut toutefois veiller à ne surtout pas transpirer. Cette humidité serait très gênante et difficile à évacuer. C'est dès que nous nous arrêtons qu'il faut être vigilant et se rajouter des épaisseurs sur le dos.

Enfin le col, après des heures et des heures de grimpe. Nous y plantons le camp et sommes récompensés par un très beau coucher de soleil sur la montagne. Nous l'avons mérité !

©Matthieu Tordeur

Jour 4 - Descente du col

Au col, nous avons une vue imprenable sur le fjord. Le bleu foncé de la mer gelée contraste avec le ciel clair dépourvu de nuages. La pause est de courte durée au sommet, le vent s'est invité et nous sommes tous transis de froid. Rapidement, Tito, notre guide, nous fait signe de déchausser pour poursuivre la descente à pied. C'est raide !

Avec prudence certains retiennent leur pulka avec la corde de traction, quand d'autres plus téméraires, s'assoient à califourchon dessus et glissent comme sur une luge. La neige est assez profonde.

Dans la vallée, nous progressons à skis avec la joie d'être enfin sur un terrain un peu plus plat. La journée d'hier a été harassante. Le ski-pulka n'est pas adapté à l'ascension de cols, nous y avons laissé beaucoup d'énergie. Mais le changement de paysage et la vue dégagée nous remplissent d'optimisme pour les prochains jours.

©Matthieu Tordeur

Jour 5 - En file indienne à Templefjord

Enfin un terrain plat. Nous avons passé la journée à progresser le long de la banquise de Templefjord en direction d'un gros glacier sur lequel nous devrons prendre pied dans quelques jours. Sur cette partie de l'itinéraire nous avançons à bon train, en file indienne.

De nombreux lagopèdes ainsi que des rennes sauvages nous tiennent compagnie. Ils grattent la neige toute la journée pour y trouver un peu de nourriture. Il y a quelques années, une vague de chaleur avec un épisode pluvieux avait congelé tout le sol, empêchant alors les rennes d'avoir accès à la végétation ; ce fut une hécatombe.

Nous sommes couverts de la tête aux pieds et ne laissons pas un centimètre carré de notre peau exposé à l'air libre. À -25°C, celle-ci risquerait de geler très vite. Ces conditions nous remplissent d'humilité pour toute forme de vie ici.

Le froid a déjà fait quelques blessures mais le groupe est en bonne forme morale et physique. Nous sommes 11 au total : Tito (notre guide), Marie-Valérie, Gwendoline, Alice, Catherine, Maxime, Alexandre, Pierre-Antoine, Philippe, Étienne et moi. Pour l'essentiel des membres du groupe c'est la première expédition polaire. Les conditions sont plutôt bonnes, mais le froid est mordant.

©Matthieu Tordeur

Jour 6 - Nuit 5 étoiles

Ce matin, alors que nous étions en train de démonter le camp après le petit déjeuner, deux motoneiges sont venues nous rendre visite. La police ! Les deux officiers emmitouflés dans d'épaisses combinaisons étaient très courtois et ont vérifié que nous avions bien les autorisations nécessaires pour être ici et surtout que nous étions équipés pour prévenir une attaque d'ours. Tous les papiers et le matériel de défense a été passé en revue. Nous avons campé juste à côté d'une petite cabane où les policiers restent pour faire des contrôles dans le secteur. Les skieurs ne sont pas très nombreux, mais à cette période il y a beaucoup de touristes en motoneige qui se baladent. Finalement, ils nous ont convié à venir nous réchauffer quelques instants à l'intérieur et c'était bon de ressentir la chaleur de leur poêle qui brûlait.

La journée a été sportive. La banquise encore un peu fragile nous a contraint à faire un petit détour par un canyon. Il nous a fallu nous hisser à environ 200 mètres d'altitude, ce qui en valait la peine : la vue sur tout le fjord gelé était superbe. La descente vers celui-ci était très raide, donc périlleuse. Nous avons sorti la corde et déchaussé les skis pour descendre un par un. Nous nous sommes ensuite laissés glisser jusqu'à la berge où nous avons planté le camp à la tombée du jour.

La vue est à couper le souffle. Les montagnes enneigées entourent notre campement. Dans le fond du fjord se trouve un imposant glacier. Il est d'un bleu profond et semble comme figé, retenu par la banquise. Dans un silence absolu, nous observons à la jumelle quelques phoques qui annoncent que nous sommes sur le territoire de l'ours polaire.

Il nous faudra redoubler de vigilance pendant les tours de garde cette nuit.

©Matthieu Tordeur

Jour 7 - Progression sur la banquise

Enfin la banquise que nous attendions est là ! Solide, elle nous permet d'aller à bon train, en ligne droite et sans nous soucier du relief. Nous avons fait 12 kilomètres aujourd'hui et sommes arrivés au bout de Tempelfjord, au pied du glacier Vonpostbreen que nous allons devoir remonter. Le front glaciaire fait 30 mètres de haut et la glace y est bleue, blanche et grise.

Voilà une semaine que nous sommes partis. Le groupe est désormais rodé à l'exercice du montage et démontage du camp, s'habitue à la nourriture lyophilisée et aux nuits à -30°C. Notre groupe de 11 est constitué de personnes de 30 à 62 ans et chacun œuvre efficacement pour la bonne réussite de notre expédition. Le froid gomme les différences d'âge et en quelques jours nous sommes devenus une équipe soudée.

©Matthieu Tordeur

Jour 8 - Glacier Vonpostbreen

Changement de décor. Aujourd'hui nous avons pris pied sur un glacier qui forme la calotte polaire de l'île. Il coule entre des montagnes qui culminent à 1 000 mètres d'altitude. Elles sont couvertes de neige éternelle, mais leur partie exposée laisse apparaître une roche sombre et dure. Sous nos pieds, des centaines de mètres d'épaisseur de glace. Tout autour de nous, du blanc et rien que du blanc. Il y a un sentiment d'immensité qui me rappelle le Groenland ou l'Antarctique. Cette partie de l'itinéraire est magnifique.

Nous sommes toujours en train de grimper, mais cette fois avec un gradient d'ascension plus doux. Le vent qui dévale le long du glacier a soufflé la neige de surface et nos skis glissent sur une neige dure, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Lentement mais sûrement, nous progressons vers le haut du glacier. Il a fallu redoubler de vigilance aujourd'hui et enfiler les baudriers pour prévenir un éventuel terrain crevassé et se laisser la possibilité de s'encorder. L'équipe commence à parler de douche chaude, de lit douillet et de bières ce qui veut dire une chose : nous nous rapprochons de l'objectif. Mais ce n'est pas terminé, encore trois ou quatre de jours d'expédition avant de rejoindre Pyramiden !

©Matthieu Tordeur

Jour 9 - Un nouvel arrivant : le vent

Plus grosse journée aujourd'hui : nous avons progressé pendant 8 heures sur la calotte polaire. Parfois nous avancions à deux de front et en profitions pour discuter un peu, mais la majeure partie du temps nous étions chacun dans notre ligne, concentré sur notre effort et dans nos pensées. Nous avons atteint un nouveau col dans le milieu de l'après-midi, celui-ci à 780 mètres d'altitude. En haut, nous pouvions apercevoir la suite du parcours. Notre itinéraire rejoint un autre glacier, mais la jonction entre les deux est un peu crevassée. Il nous faut d'abord redescendre de quelques centaines de mètres.

Le vent a commencé à forcir et à faire voler la neige de surface. Elle file sur la glace comme une traînée de poudre. C'est très beau, mais gare à celui où celle qui laisserait tomber un gant, il risquerait d'être emporté et de disparaître. À mesure que la journée se termine, la force du vent s'est intensifiée. À l'arrière du groupe pour faire des images, je le voyais s'effacer dans le vent.

©Matthieu Tordeur

Nous avons tenté de trouver une zone moins venteuse pour poser le camp, mais sans succès. Alors, nous nous sommes rassemblés et tous ensemble nous avons monté la tente commune en tentant d'être coordonné au maximum pour lutter contre les bourrasques qui voulaient nous arracher la toile des mains. Après de nombreux efforts, la mission est accomplie. Ensemble, nous reprenons nos esprits sous la tente et nous répartissons en équipe pour monter les 6 autres tentes. Par quatre nous nous débattons contre le vent pour éviter que la toile ne fasse cerf-volant, nous nous jetons dessus quand elle commence à trop claquer, c'est un véritable combat pour sécuriser le camp et ne pas perdre de matériel. La nuit sera mouvementée et bruyante. Une partie de l'équipe a l'air un peu impressionnée par les conditions, je ne suis personnellement pas mécontent d'avoir des conditions plus musclées qui me rappellent des souvenirs...

Jour 10 - La montée interminable

La nuit a été agitée, il a fallu se lever pour renforcer certaines attaches de tente, mais au petit matin le vent est tombé. Quel changement d'ambiance ! Nous pouvons tranquillement plier le camp pour attaquer notre dixième jour à ski. Nous le savons, nous devons passer un nouveau col aujourd'hui. Nous ignorons exactement où il se trouve, mais ce qui est certain c'est qu'il va nous falloir grimper.

La montée est interminable. Au déjeuner où nous nous arrêtons environ 30 minutes pour avaler une soupe de nouilles chinoises, nous ne l'avions toujours pas atteint. Il nous barre la ligne d'horizon et quand nous croyons être arrivé au bout, une nouvelle colline se dresse devant nous et il nous faut toujours tirer et tirer la pulka. Les garçons se sont chargés au maximum et nous avançons tous doucement. Chacun prend sur soi, mais l'impatience du groupe est palpable. Heureusement la neige est dure, sculptée par le vent, elle permet aux pulkas de glisser plus facilement.

©Matthieu Tordeur

Finalement, après 7 heures de montée continue, de petits sommets enneigés percent la ligne d'horizon et le terrain s'aplanit. Nous y sommes ! Enfin la descente vers Pyramiden. La vue sur le fjord gelé en fin de journée est somptueuse. Le soleil nous baigne dans sa chaude lumière. C'est un beau cadeau qui nous fait oublier toutes les courbatures de la journée. En ligne nous avançons droit vers le bas de la vallée et la banquise. Quand la pente le permet, nous nous asseyons même sur nos pulkas et les utilisons comme des luges pour descendre plus vite. Aujourd'hui nous avons parcouru 22 km en montée et nous sommes désormais à une grosse vingtaine de kilomètres de notre objectif.

Jour 11 - Mission Pyramiden accomplie

Pour cette dernière journée d'expédition, toute l'équipe est debout de bonne heure. Nous savons que nous avons devant nous une grosse journée pour arriver à Pyramiden. Nous plions une dernière fois le camp, chaussons les skis et nous élançons dans la descente du glacier. La pente est parfois un peu raide et nous en profitons pour enfourcher les pulkas et les utiliser comme des luges. Ça va vite ! Un ski de chaque côté, nous descendons sur plusieurs centaines de mètres et cette sensation de vitesse est grisante.

Nous atteignons la banquise à l'heure du déjeuner, dernier obstacle avant la ligne d'arrivée. Pyramiden n'est plus qu'à 12 kilomètres. Au soleil, nous déjeunons en silence, chacun est assis sur sa pulka et semble comme soulagé et heureux d'arriver au bout de cette expédition. C'était pour certains une aventure rude et forte en émotions.

©Matthieu Tordeur

Difficile d'évaluer les distances sur la banquise. Nous skions à notre rythme, le groupe s'étire et se retrouve lors des pauses régulières, mais la ville abandonnée de Pyramiden semble toujours si éloignée. Il nous faudra un peu plus de 4 heures pour enfin nous rapprocher des bâtiments en déliquescence à l'entrée de la ville. L'endroit est lugubre, à l'abandon, mais l'équipe a le sourire à l'idée d'être bientôt au chaud et de passer la ligne d'arrivée. Nous faisons une photo finish et heureux, nous entrons dans le seul hôtel de la ville. Tout à été rénové en gardant le style soviétique, nous nous délectons d'une douche chaude et d'un dîner arrosé de bière avant de nous coucher dans un lit douillet.

Bravo à l'équipe qui n'a pas démérité. Chapeau à tous et particulièrement à ma mère qui était parmi nous dans cette aventure (et presque la doyenne du groupe), elle voulait découvrir ce qu'était une expédition polaire, elle n'a pas ménagé ses efforts, bravo Maman. Demain, retour en bateau à Longyearbyen.

Objectif Pyramiden : Objectif atteint !

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