Le mouvement a ses raisons que les saisons ignorent

Dès nos premiers pas, tout dans notre société nous incite à nous détourner du mouvement et à nous encalminer dans la sédentarité. Mais la vie entre les murs annonce l'automne de l'esprit et du corps. Alors il faut sortir, prendre l'air quel que soit le temps, la lumière ou le lieu.
Le printemps : le mouvement qui renaît.
Peu de peuples occidentaux ont un contact aussi étroit, aussi charnel avec la nature, que les Norvégiens. Ils ont d'ailleurs un mot exprimant ce besoin irrépressible de claquer la porte de la maison pour aller s'agiter le nez au vent. C’est le friluftsliv, la quête permanente de la vie au grand air, celle des cheveux trempés par la bruine, des myrtilles qu’on grignote à même l’arbuste, des chaussures qui s’enfoncent dans les mousses spongieuses et des longs entraînements en ski à roulette sur le bitume des routes côtières pour être d'attaque l'hiver suivant. Et ce par tous les temps. Car comme le dit la devise, « il n'y a pas de mauvaise météo, il n'y a que de mauvais vêtements ». Autant dire que le Norvégien est parfois un peu fatigant. Mais au moins il donne l'exemple. Car à l'approche du printemps, plus question de bouquiner sous la couette ou de faire un Monopoly au coin du feu. Alors que les jours s’allongent, que la lumière se glisse à travers les rideaux, que la sève entame son ascension vers les houppiers, un frémissement s'empare des membres et l’envie de bouger renaît en même temps que la terre s’éveille. Toute cette énergie nouvelle, fouettée par le soleil, galvanisée par l'explosion des couleurs, invite au mouvement, comme un écho à cette renaissance universelle. Le moment est venu de perdre le gras de l'hiver. La nature se réveille et sonne la mobilisation générale. Cheminer à travers les prairies fleuries, pédaler le long des chemins de campagne, respirer la tiédeur des sous-bois, bref remettre en branle la machine quitte à faire craquer les jointures et se sentir vivant. C'est toute la promesse du printemps.
L'été : le mouvement en partage.
Le soleil est au zénith. L'air est gonflé d'impalpables voilures. Au-dessus des têtes se déroule un ciel d'un bleu océanique. Un ciel de vacances. C'est le temps des shorts, des socquettes en coton et du vieux bob oublié au fond du placard depuis l'an dernier. Comment ne pas avoir envie de tout laisser en plan et filer dehors voir si on y est ? L’été est la saison où le mouvement se déploie en force au grand dam de Bison Futé et des agents d'aéroport. Voici venue l'heure des petites et grandes migrations, de l’évasion XXL avec largages d'amarres et échappées à la voile vers de nouveaux horizons. Les projets ruminés et mitonnés entre quatre murs pendant des mois voient enfin le jour. Familles et copains se retrouvent pour partager l'aventure, la brise du large, le frisson des parois vertigineuses, l'émotion des déferlantes, le sel qui humecte les lèvres, la trouille qui creuse l'estomac sous un orage de montagne, la promiscuité sous une tente parfumée à la chaussette faisandée, les engueulades devant la carte étalée sur le capot, l'épouvante d'une tourista inopinée – remarquable exemple de transit – et autres petits caprices du voyage qu'il soit au long cours ou à trois stations de RER. Le mouvement se fait collectif, partagé, exalté. Il n’est plus une nécessité mais un jeu, un plaisir que l’on partage sous une lumière dorée à souhait. Et les souvenirs s'impriment dans le cortex pour la vie.
Le mouvement se fait collectif, partagé, exalté.
L'automne : le mouvement contemplatif.
Quand les jours raccourcissent, que les ramures s’embrasent de teintes mordorées, que les chênes commencent à disputer leurs feuilles au vent pluvieux, il est tentant de se recentrer sur soi, d'échapper à l'effervescence de la cité pour se mettre au diapason de la nature. L'étuve de l'été n'est plus qu'un lointain souvenir, les fleurs les plus tardives lancent leurs derniers éclats, les plantes et les bêtes semblent déjà se préparer au grand sommeil hivernal. Sans aller jusqu'à s'abandonner à la mélancolie et se mettre à déclamer du Lamartine dans le clair-obscur des sous-bois, pourquoi ne pas lever un peu le pied, prendre le temps de flâner, de respirer cet air qui sent la mousse et le mystère humide ? L’automne, saison du ralentissement, du retour au calme, est le moment idéal pour déconnecter du tumulte et renouer avec une mobilité plus cérébrale, plus instinctive. Cela ne signifie pas pour autant remiser les chaussures de rando à la cave. La période offre encore de belles journées pour se mouvoir et profiter des bienfaits de l'extérieur : une balade forestière panier à la main pour débusquer champignons ou châtaignes, une visite à un marché de producteurs locaux, l'escalade d'une falaise baignée par la fraîcheur retrouvée, l'observation, jumelles autour du cou, des ultimes emplettes des écureuils ou des marmottes, saluer l'envol des oiseaux migrateurs vers le Grand Sud... autant d'occasions de se mettre en mouvement, d'affûter son regard sur l'environnement, de découvrir les saveurs automnales et de partager des moments conviviaux.
L'hiver : le mouvement qui réchauffe.
C'est l'un de ces petits matins secs et craquants de gel qui font devant les bouches de petits nuages blancs semblables à de la ouate. Le soleil, lui, joue les feignasses et refuse de tenir la promesse du matin. Le paysage semble saisi aux moelles. Un instinct de Néandertalien frigorifié sous sa peau d'ours nous conjure de rester au coin du feu pour regarder une série télé les mains crispées autour d'un mug de chocolat chaud copieusement arrosé de chantilly. Désastreuse idée ! Laissons l'hibernation aux ours mal léchés. Il s'agit bien au contraire d'enfiler quelques laines polaires et, le bonnet enfoncé jusqu'aux yeux, de sortir braver la morsure du froid. Les paysages aux courbes poncées par la neige, les rideaux de grands arbres poudrés de frimas, avec leurs branches prises dans leur gangue de givre, voilà qui a un peu plus d'allure que les quatre murs de la salle de sport. Quitte à bouger, autant le faire dehors avec des moufles. L’hiver, le mouvement prend tout son sens. Chaque pas, chaque effort réchauffe le corps et stimule même l’esprit. La froidure fouette l'organisme et active le métabolisme. Lorsque les crampons s'accrochent à la piste verglacée, que les raquettes poussent la neige à lancer des cris de meringue écrasée, les muscles produisent une douce chaleur et le cerveau en extase libère des endorphines, ces hormones du bonheur. Tout est oublié, tout est pardonné : les orteils transis, le vent glacial qui griffe les visages et anesthésie les mandibules, les picotements au bout des doigts, le nez qui coule comme une fontaine... Et puis, c'est bientôt le printemps !
